Fiche relative au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise
Mis à jour le 27 novembre 2024
La Commission nationale indépendante Harkis a mandaté des historiens pour approfondir les travaux menés dans la période 2022-2023.
Dans le mandat 2023-2024, ils doivent, au-delà du bilan d'ensemble des conditions de vie qu'ont connues les Harkis et leurs familles dans les structures et en dehors de celles-ci, étudier spécifiquement Bias et Saint-Maurice-L'Ardoise.
Les deux rapports sont disponibles à la lecture en fin de page.

Qu’est-ce que le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise ?
Ouvert en octobre 1962, le camp de transit et de reclassement de Saint-Maurice-l’Ardoise, géré par l’armée française et prévu à l’origine pour 400 personnes, accueille rapidement plus de 5 000 Harkis et leurs familles, sous des tentes dans un premier temps. Les conditions de vie sont déplorables et traumatisantes, caractérisées par le froid, l’isolement et le manque d’accès aux ressources (eau, électricité,...), en particulier au cours des hivers de 1962 et 1963.

Fiche relative au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise
discours prononcé le 20 septembre pour l'inauguration de la stèle commémorative du cimetière pour enfants de Saint-Maurice-L'Ardoise
C’est à son statut d’implantation militaire, créée au début de la Seconde Guerre mondiale, que le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise devait l’enceinte barbelée qui le cernait, le portail qui le clôturait, les miradors qui l’éclairaient. Pour les Harkis et leurs familles qui y ont vécu de 1962 à 1976 – une fois achevée l’évacuation du site, un an après qu’avait été décidée sa fermeture –, ils ont à la fois symbolisé la fonction d’internement qui lui avait auparavant été dévolue, instillant en eux un sentiment d’humiliation, et accru leur impression d’enfermement inhérente à la configuration militaire.
La présence des anciens supplétifs, au fil de ces années, renvoie – il faut le rappeler en préalable – aux deux fonctions très différentes qui ont été successivement dévolues aux lieux. De fin octobre 1962 à fin 1963, ils ont servi de camp de transit, où ont séjourné plus ou moins longtemps plusieurs milliers de personnes en attente d’un reclassement professionnel. De fin 1964 à 1976, ils ont fait office de Cité d’accueil pour plusieurs centaines d’anciens supplétifs vulnérables du fait de leur âge, de leur état physique ou psychologique, de leur manque de ressources, regroupés parce que jugés « inclassables » et hébergés durablement avec leurs familles. D’abord annexe du site principal, le château de Lascours a servi entre 1965 et 1970 de Centre de transit et de reclassement pour les Harkis libérés ou évadés des prisons algériennes.
C’est de la première séquence qu’il est question dans la commémoration d’aujourd’hui. Avec Rivesaltes, Saint-Maurice-l’Ardoise a appartenu à la seconde génération de camps de transit, qui a été ouverte pour accueillir les anciens supplétifs que la rigueur du climat au Larzac et à Bourg-Lastic ne permettait pas d’y maintenir à la fin de l’été. Ouvert le 29 octobre 1962, ce camp a atteint son effectif maximal début janvier 1963 avec 5 500 occupants. Pour autant, la situation climatique et géographique n’était guère favorable en raison de la violence du mistral qui, sur un terrain dénudé où rien ne lui faisait obstacle, rendait particulièrement inconfortable le séjour sous des tentes mal fermées et pas ou peu isolées. C’est en effet ainsi qu’ont été logés les milliers d’arrivants pendant plusieurs mois, les baraquements nécessaires n’étant pas encore construits ou pas suffisants ; 60% des hébergés s’abritaient encore sous une tente en mai 1963. Les Harkis et leurs familles vécurent donc l’hiver 1962-1963, à la rigueur exceptionnelle, dans « des conditions déplorables », « affreusement précaires ». Par ces formules, le docteur André Heurtematte, chef du service de médecine infantile du centre hospitalier d’Avignon (où ont été hospitalisés 72 enfants du camp en décembre 1962 et janvier 1963), s’indignait avec d’autres de la situation de Saint-Maurice-l’Ardoise, où « tentes et baraques vogu[ai]ent sur une mer de boue quand il pleu[vai]t ou à la fonte des neiges », où les hébergés en loques n’étaient pas équipés pour affronter le froid… Le dénuement face aux intempéries a affecté la santé de ces derniers, mais la prise en charge sanitaire a été déficiente et « les conditions de soin affreuses », particulièrement pendant les premiers mois de fonctionnement du camp : de nombreux cas de tuberculose ont été dépistés, et la surmortalité infantile est attestée par le décès de 70 enfants durant l’année 1963.
A ces conditions matérielles très rudes et précaires, s’ajoutait une existence quotidienne faite d’attente et de désœuvrement. Certes, dans son courrier du 8 décembre 1962, le Premier ministre Georges Pompidou avait explicitement prescrit que soit mis en œuvre un programme de promotion sociale et d’initiation professionnelle destiné à faciliter le reclassement mais aussi à occuper les hébergés et pallier les carences des installations. Dans les faits, toutefois, il n’a été opérationnel à Saint-Maurice-l’Ardoise que début février 1963 ; la méthode y a consisté en une « préformation sur le tas », les adultes construisant leurs propres logements. Les structures scolaires n’ont pas été mises en place avant le 1er décembre 1962 ; elles ont été installées, sans aménagement particulier qu’il aurait fallu financer, dans des baraquements et dans une aile du château de Lascours – à 3 km au nord, réquisitionné comme annexe pour loger les arrivants en trop grand nombre. Le pire désastre humanitaire a sans aucun doute été atteint dans les premiers mois, l’administration militaire ayant été totalement débordée par l’afflux d’arrivants ; puis des crédits ont été débloqués, l’organisation s’est quelque peu améliorée, des baraquements ont été édifiés, et surtout la mise en œuvre effective du reclassement a permis de diminuer la population hébergée, passée en avril 1963 sous la barre des 3 000, et de raccourcir les séjours.
Il est certain que l’urgence créée par la convergence dans les camps de transit de milliers de personnes a créé une situation délicate à laquelle les autorités ont dû faire face. Mais le refus initial d’envisager le repli des Harkis dans l’ancienne métropole puis d’anticiper leur accueil l’a indéniablement compliquée. De même la tâche consistant à dissoudre les premiers camps de transit en déplaçant leurs occupants avant la mauvaise saison a-t-elle été mal anticipée et son ampleur mésestimée. Saint-Maurice-l’Ardoise a été affecté seulement mi-septembre 1962 par les autorités militaires, ce qui a d’autant moins permis d’y effectuer les aménagements nécessaires que les tensions interministérielles sur le partage des responsabilités et la répartition des dépenses ont constitué un frein supplémentaire aux conséquences majeures.
La dureté des conditions d’existence dans le camp de transit surpeuplé et à l’administration débordée – la précarité matérielle et le dénuement affaiblissant les organismes des jeunes enfants et des femmes enceintes –, ainsi que l’insuffisance de l’infrastructure de soins sur place pour lutter contre les maladies infantiles et assurer la sécurité des accouchements, expliquent le nombre élevé de décès d’enfants et de fausses couches. Le Registre d’inhumation provisoire au camp militaire de l’Ardoise atteste que 31 corps ont été enterrés sur place, dans un cimetière improvisé situé en domaine militaire mais à distance du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise et du château de Lascours. Le site abandonné a été retrouvé en 1979 à Rossignac, dans une clairière accessible par un chemin de terre, « recouvert[e] de ronces et d’herbes hautes », plusieurs sépultures étant ouvertes et vides. Une fois les constatations faites, il a été laissé en l’état et pas entretenu, finalement oublié, avant que l’existence de ce cimetière ne soit redécouverte en 2019. Les fouilles diligentées ont été menées par deux archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), qui sont parvenus à identifier les lieux en mars 2023 et à retrouver 27 tombes. Comme le souligne leur rapport, on peut déduire de certaines qu’elles étaient maçonnées et marquées par des pierres fichées à la tête et aux pieds du défunt comme c’est l’usage en Afrique du nord. On peut même ajouter que la dépouille d’un enfant était allongée sur le côté droit, conformément aux pratiques dans l’islam, mais sans que tous les préceptes funéraires aient été parfaitement respectés ni que l’on sache à qui cette marque de respect de l’appartenance religieuse était due. L’histoire de ce cimetière oublié devra sans conteste être approfondie. A ce stade, on sait par le registre que la quasi-totalité des corps qui y ont été inhumés sont ceux d’enfants. Un seul adulte est mentionné, décédé mi-novembre 1962, et inhumé dans la première tombe, ce qui atteste que l’existence de ce « cimetière provisoire » ne résultait pas d’une capacité insuffisante de ceux des communes locales puisque, moins de 15 jours après l’ouverture du camp de transit, il n’était pas encore question de surmortalité, a fortiori infantile. Parmi les enfants, 12 étaient mort-nés, et les autres étaient tout petits, de quelques mois à deux ans hormis une fillette qui venait d’avoir 4 ans, victimes de la poussée épidémique du printemps 1963. Restent à déterminer qui a pris la décision de ces mises en terre sans enregistrement systématique des décès en mairie, si elle a été délibérée ou si elle résultait de la désorganisation initiale de l’administration militaire, enfin si toutes les familles – notamment les parents d’enfants mort-nés – étaient informés du moment et du lieu de l’inhumation. Dans la lignée de la demande de pardon du président de la République, la ministre déléguée chargée de la Mémoire et des anciens combattants, Geneviève Darrieusecq, a reconnu une « faute de la République ».

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